Dans cette phase que certains appellent déjà ‘Post Covid’, le manager entre en fait dans une nouvelle ère, l’ère de l’incertitude long terme. Et cela a de quoi déstabiliser. Regards sur un métier en plein bouleversement.
Alors que les entreprises et les instances politiques et économiques planchent à relancer l’activité et repartir sur de nouvelles bases, les salariés et leurs managers regardent cet élan avec un œil distancié.
Car dès que l’on observe de près le monde de l’entreprise, on sent bien que les sables sont mouvants. Comment bâtir un plan d’action quand tant de paramètres sont encore si flous. Et pourtant, c’est bien ce que l’on demande à une grande partie des managers. On les incite à faire preuve de créativité et d’agilité. Mais cette injonction est-elle simplement possible ?
Il va falloir faire avec de nouveaux paramètres, qui changent pleinement la donne.
1 – les équipes qui ont travaillé à distance ont aussi pris de la distance par rapport à leur travail. Les salariés ont eu le temps et l’environnement pour se questionner sur le sens de leur activité, et les résultats ne sont pas toujours très enthousiasmants. Quand on ne fait pas partie des métiers indispensables et considérés comme essentiels, il devient parfois plus difficile de se motiver à son poste. Même si ce n’est pas la majorité, une fraction des salariés est actuellement en questionnement professionnel.
2 – le chômage partiel a permis de maintenir un niveau de vie et libéré du temps pour profiter de la famille et des proches. Il a probablement permis de redéfinir le rôle de chacun dans sa tribu familiale, de prendre responsabilité pour des tâches nouvelles, (la scolarité des enfants, certaines charges de la maison….) et en cela, c’est une opportunité. Mais les salariés ne sont pas dupes sur l’équilibre artificiel du dispositif et le risque, in fine, de perdre son emploi. Donc après une période finalement agréable pour certains, c’est la peur du chômage qui prend le dessus, et la méfiance envers l’avenir qui prévaut. Une préoccupation basse sur la pyramide de Maslow, qui empêche de se projeter.
3 – Certains ont pris conscience de leur finitude. La vie peut s’arrêter à chaque instant, ce n’est pas nouveau, mais le COVID a rendu l’idée plus présente. Le résultat est que certains ont envie de vivre plus, de perdre moins de temps, de prioriser ce qui compte pour eux. Et cela sans forcément franchir le pas de changer de métier, en contexte incertain. Cette catégorie de salariés est donc coincée dans un travail qui ne leur convient plus et des impératifs économiques. Une position inconfortable et peu propice à la reprise sereine d’une activité.
4 – Et il y a ceux qui ont été touchés, directement ou de loin, et qui aujourd’hui ont peur de revenir au travail, ou sont endeuillés et redoutent à nouveau la confrontation avec leur environnement professionnel.
Dans ce contexte, les managers ne sont pas épargnés. Eux-mêmes ont vécu le confinement et la crise COVID à leur manière. Et plus que d’autres, au moment de la reprise, ils sont eux-mêmes sont confrontés à de nouveaux challenges :
– La quête de sens, pour leurs équipes et pour eux-mêmes. Tous les métiers ne contribuent pas directement au bien-être des citoyens et à la santé. Par effet d’ombres et de lumière, certains ont maintenant le sentiment d’être inutiles, et perdent intérêt pour leur poste. Cela ne veut pas dire qu’ils ne le font plus, mais que l’envie n’est plus là. Nous constatons une très forte augmentation de ces sujets lors des formations. C’est devenu l’une des préoccupations fortes de cette période. Le manager doit donc être particulièrement attentif au fait de redonner du sens et valoriser le poste.
– Des difficultés à être le vecteur de la stratégie de l’entreprise : Par nature, le manager est porteur des messages de l’entreprise et le premier maillon de la stratégie. Sa hiérarchie attend de lui qu’il y adhère sans faille. Sans même parfois en avoir une vision très claire. Or il est confronté à un véritable malaise lorsqu’il n’adhère pas lui-même à la nouvelle stratégie mise en place, qu’il n’a pas les moyens de l’influencer ou n’a pas d’information sur de nouvelles orientations. Pour se sentir plus en accord, il lui sera utile de clarifier avec sa hiérarchie, les décisions qui sont prises et l’impact sur ses équipes. Cela lui permettra de répondre aux éventuelles questions. En jouant la transparence, il établira une relation vraie avec son environnement.
– Le manque d’envie de s’investir, qui peut aussi toucher le manager pour toutes les raisons exprimées ci-dessus, l’inquiétude pour son poste, celui de des équipes, l’avenir de l’entreprise et de sa famille, le sentiment d’impuissance que le COVID a mis en avant. Il est susceptible d’y être confronté mais a aussi des ressources pour y faire face, et en particulier la conscience de l’impact qu’il peut avoir sur son environnement.
Une fois que tout cela est dit, comment aborder l’avenir avec enthousiasme et énergie ? Dans cette période de transition, le manager a une place particulièrement importante à tenir et un rôle clé à jouer. Voici quelques approches qui ont toutes les chances de contribuer au mieux-être de chacun :
– Être présent de manière active auprès des équipes pour cultiver le lien, accompagner la mise en œuvre de nouvelles manières de faire son travail tout en respectant son écologie personnelle. C’est-à-dire être, plus que faire. Être à l’écoute des besoins, être ouvert à de nouvelles manières d’avancer, être dans la discussion et la co-construction.
– Être plus dans le présent que dans le futur, car il est difficile d’avoir une idée très claire de ce que réserve les mois et années à venir. Inutile donc d’imaginer des scenarii à long terme, quand le présent nous occupe déjà tant. Par petits pas, avancer vers demain sans se précipiter permettra à chacun de se sentir plus sécurisé. Ceci ne doit pas empêcher le manager d’anticiper la suite, mais il aura tout intérêt à le faire lorsque le présent sera bien sécurisé.
– Aborder l’incertitude par la confiance et non par la peur. Cela ne signifie pas qu’il faut s’interdire de voir les dangers et incertitudes, mais plutôt de choisir de voir aussi les opportunités de changement et ce que le COVID a fait émerger de positif, et surtout de ne pas l’oublier.
– Ralentir plutôt que d’accélérer : bien sûr, le monde d’avant a quelque chose de rassurant. Et nombreux sont ceux qui espèrent pouvoir y revenir rapidement. Mais est-ce réaliste, et est-ce souhaitable ? En prenant le temps de reconstruire l’entreprise en tirant les conséquences de ce que nous venons de vivre, il est très possible que celle-ci puisse prendre une nouvelle dimension. Ralentir peut faire gagner tellement de temps ensuite, qu’il serait dommage de passer à côté de signaux faibles qu’on aurait aperçu juste en levant la tête.
Mais pour que tout cela soit possible, il faut laisser au manager du temps pour la prise de recul. Il est illusoire de penser que le temps de confinement a offert un temps de recul et de réflexion. Tout simplement car nous sommes encore en mouvement, que rien n’est stabilisé et que le temps n’est, à mon avis, pas encore à la reconstruction. Nous sommes encore en train de surfer la vague qui a secoué notre monde.
Il faut donc laisser du temps au manager, lui laisser retrouver ses repères, retrouver ses équipes et le lien qui les unit. Il y a un vrai risque à lancer dès maintenant de nouveaux projets de conquête. A vouloir brûler les étapes, il y a un risque que le manager se retourne et découvre qu’il est seul à avancer.
Ménager ce temps de réflexion n’est pas naturel, compte tenu de l’urgence à laquelle fait face l’entreprise. Mais c’est un pari avisé, de se dire qu’une ou deux journées de coaching collectif ou de travaux de codéveloppement, vont permettre aux managers de se ressourcer, de regarder d’un œil neuf leur activité, et de trouver l’énergie, les idées et la créativité d’imaginer la suite. Puis de le partager avec leurs équipes, et de redonner du sens de leur métier.
Nathalie Barbet Baker – Directrice MS Formation
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